Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 janvier 2020 4 16 /01 /janvier /2020 07:47

Ordonnance du 4 octobre 1945 créant la Sécurité sociale.

Réforme des retraites: des ordonnances jusqu’à plus soif.


Ah qu’il était bon pour les parlementaires de délibérer sur des textes simples et clairs: évidemment la formule lapidaire selon laquelle « tout condamné à mort, aura la tête tranchée», pouvait malgré sa simplicité avoir des conséquences expéditives pour les personnes ayant été condamnés à la peine capitale par les autorités de justice.

Il n’était pas nécessaire d’être agrégé de droit pénal pour comprendre ce que signifiait la sentence avec son implication mortifère.


Il en est de même pour la déclaration de guerre aux conséquences terribles, au sujet duquel les parlementaires ne peuvent voter que par oui ou non. Le conflit armé, on s’y lance ou on ne s’y lance pas.

C’est moins, compliqué, moins long et moins ennuyeux pour les députés et sénateurs  que de se prononcer sur un texte obscur modifiant le code de la construction et de l’habitation ou d’une transcription d’une incompréhensible directive européenne.

Pour éviter les inévitables séances de nuit dans des débats interminables au Parlement, les constituants ont inventé une arme massue qui fait gagner un temps précieux: l'ordonnance: Il suffit que le Parlement habilite le Gouvernement à prendre des mesures qui sont d'ordinaire du domaine de la loi, pour que l'exécutif puisse-t-ainsi légiférer. Bien entendu, celui-ci après un certain délai les assemblées législatives sont en mesure de ratifier le texte définitivement. 


En matière sociale, l’utilisation de la technique juridique de l’ordonnance, ce qui donne une très large autonomie au pouvoir exécutif et aux administrations à son service, fait partie intégrante de la tradition de  l’Etat providence:

- Les textes fondateurs de la Sécurité Sociale ont été diffusés sous la forme d’ordonnances le 4 octobre 1945.

- En 1967, c’est sous la même forme qu’a été mise en place, avec une maestria organisationnelle sans pareil, la mise sous contrôle par l’administration, du régime général avec notamment la mise en place des quatre caisses nationales dirigées par des cadres nommés par le gouvernement.

Ces ordonnances dénoncées par la gauche, étaient tellement scélérates qu’en 1981 désormais au pouvoir, elle s’est bien gardée de les changer. De droite ou de gauche le gouvernement considère qu’en matière sociale, la prééminence revient à l’Etat et non à des partenaires sociaux dont l'e pouvoir exécutif et la haute fonction publique se méfient comme de la peste !


La même technique coiffée par une loi organique, a été utilisée pour mettre en place le plan Juppé en 1995, consacrant la mobilisation annuelle du Parlement par le moyen des lois de finances de la  Sécurité Sociale.

La venue au pouvoir de la gauche en 1997 après la dissolution ratée proposée par Mr Villepin à Jacques Chirac, ne modifia rien dans la nouvelle répartition des pouvoirs engendrée par ces ordonnances, appliquées sans faille  à la sphère sociale.


Manifestations ou pas, grèves longues comme en 1995, 2003  ou 2010 ou pas, le pouvoir exécutif a ainsi conservé, conserve et accroît toujours depuis la Libération  son emprise sur l’Etat providence (sans d’ailleurs que les déficits sociaux ne soient maîtrisés pour autant). C'est évidemment  à l’encontre du principe originel de la gestion de la Sécurité Sociale par les représentants des assurés sociaux et des entreprises.


Dans le cadre de l’actuelle réforme des retraites, le gouvernement « profond » en matière de productions d’ordonnance,s jette le masque et s’en donne à cœur joie. On dirait même qu’il se défoule, puisqu’il prévoit de demander aux parlementaires à plus d’une vingtaine de reprises, l’autorisation de légiférer par ordonnances.

Les parlementaires de la majorité à l'Assemblée Nationale apprécieront à leur juste mesure la confiance qui leur est faite dans ce monument législatif censé assurer la sécurité matérielle du dispositif des retraites pour les prochaines décennies.


Que ce soit dans l’organisation du futur système, la mise en place de la future gouvernance, la gestion des droits ainsi que  son périmètre, et la gestion financière, les deux textes multiplient les recours à l’ordonnance, comme si le pouvoir exécutif craignait l’intervention de ces dangereux « amateurs » que sont les parlementaires.

 Tout comme la guerre qui apparaît beaucoup dangereuse pour être confiée aux seuls militaires, la refondation du système des retraites en un système universel paraît beaucoup trop complexe  pour être confiée aux députés et sénateurs.


Quelques exemples significatifs. C’est par ordonnance que seront traités des sujets aussi importants que :

  • L’organisation interne de la caisse nationale de retraite universelle (art 49 loi organique)
  • La mise en place d’une personne publique se substituant au service des retraites de l’Etat (Article 53 loi organique)
  • La mise en place de la mutualisation de la trésorerie et des règles d’établissement des comptes du système universel
  • La répartition du taux de cotisation entre les régimes de base et complémentaires (art 61 loi organique)
  • Le très important travail de toilettage des règles des 42 régimes existants (art 63 loi organique)
  • Les règles en matière de régimes supplémentaires (art 64 loi organique)

Et j’en omets bien d’autres dans la loi simple pour ne pas fatiguer le lecteur.

Au bout du compte, pour gagner du temps au risque de  consacrer l’abaissement du Parlement dans la sphère sociale, le gouvernement serait bien avisé de provoquer une crise au sein même de sa majorité parlementaire.

 

 

Il pourrait ainsi brandir le 49-3 pour faire passer son texte de 2x64 articles en 141 pages. Mettre en jeu la responsabilité du gouvernement sur ces deux textes, sans risquer à aucun moment qu'une motion de censure ne puisse le renverser, ce serait formidable pour libérer les députés et sénateurs de fastidieux débats.

Le texte  à tendance étatique voire soviétique, serait ainsi promulgué plus rapidement avec toute sa cohérence technocratique, à défaut d’être démocratique.


En fin de compte tout se passe comme si le gouvernement souhaitait mettre en place  une horlogerie si complexe, qu’il n’est pas question qu’un intervenant extérieur qu’il soit syndical, patronal ou parlementaire, n’intervienne au risque de tout casser par un coup de tournevis maladroit.

Bref la démocratie sociale et la démocratie parlementaire sont dans tous leurs états sans que les intérêts des actifs futurs retraités ne soient pour autant garantis.

Frédéric Buffin retraité, ancien praticien des caisses de retraite.

Le 16 janvier 2020.

Partager cet article
Repost0

commentaires