Le rapport Spinetta préconise une réforme à l'allemande de la SNCF qui suppose notamment par rapport à la situation actuelle, plus d'autonomie dans la conduite de l'entreprise.
Pour atteindre cet objectif louable, une société anonyme à capitaux publics se substituerait à l'actuel établissement industriel et commercial. Bien évidemment le service public ne serait pas remis en cause. Dont acte.
S'il suffisait d'un simple changement de statut pour sauver notre fleuron national de la faillite et de l'obsolescence programmée de son réseau, ça se saurait. Car aujourd'hui, la réforme ou le statu quo sont entièrement dans les mains de l'Etat.
1) Celui-ci en effet décide de tout ou de presque tout dans la marche de l'entreprise de transport. A- priori, le statut d'Epic devrait conférer à l'entreprise publique une certaine autonomie de gestion, mais dans la pratique comme en droit, il n'en a rien été et concrètement l'Etat est "partout sous la table à la SNCF."
- Toute réorganisation significative est conditionnée par la promulgation d'une loi ou la publication d'un décret. (Loi de du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire Règlementation du travail spécifique à la SNCF dit RH77 organisée par décret)
- Le président est nommé par décret en conseil des ministres.
- L'entreprise est sous le regard croisé de plusieurs ministères qui exercent une tutelle tatillonne au quotidien sur tous les secteurs de l'entreprise. (Ministères du budget, de la transition écologique et des transports, des affaires sociales.)
- Depuis 2007, le président et le directeur de la CPRPSNCF qui gèrent les 7 milliards de flux financiers des régimes retraite et maladie des cheminots sont nommés par arrêté.
- L'entreprise est surveillée par une autorité indépendante (pour la surveillance des règles de la concurrence sur le rail ARAFER) dont son président est nommé par décret.
- Sur le plan juridique, le Conseil d'Etat ne manque pas notamment dans le domaine social de rappeler à l'Etat qu'il ne peut déléguer son pouvoir réglementaire à la SNCF, ce qui réduit encore la capacité d'intervention de ses dirigeants.
Et la cour de cassation est souveraine pour trancher les litiges entre l'entreprise et ses voyageurs notamment en cas d'accident ou avec ses agents dans le cadre des relations de travail.
2) Dans ces conditions, la marge de manœuvre du président et de son comité exécutif de notre fleuron ferroviaire national est faible, même avec l'arme du recrutement des personnels et de celle des marchés de travaux.
- C'est l'Etat qui décide des grands investissements et notamment du TGV, alors qu'il se fait très discret quand l'entreprise ferme des lignes.
- C'est le même qui en 2017 à la veille des présidentielles a contraint la SNCF à acheter des rames de TGV pour sauver le site industriel d'Alstom à Belfort, alors qu'elle n'en avait pas exprimé préalablement le besoin.
- C'est encore lui qui malgré les hauts cris de ses dirigeants continue d'imposer à l'entreprise une surcotisation retraite de près de 12% pour ses personnels, alors que le surcoût de retraite des agents de la RATP est entièrement pris en charge par le budget de la nation.
- C'est l'Etat qui a refusé en 2016 à l'entreprise et à son Président toute modification substantielle du RH77 qui détermine notamment les horaires et les conditions de travail des cheminots.
- C'est évidemment l'Etat actionnaire qui décide ou pas d'affecter les éventuels profits de l'entreprise à sa modernisation ou de les reverser au budget général de l'Etat propriétaire de l'entreprise. Etc.
3) Conséquence, le Président en exercice avec le temps qui passe, aura perdu beaucoup de pouvoirs sur le fonctionnement et l'avenir du secteur ferroviaire de l'entreprise
- Il est certes parvenu par son influence à faire légiférer le Parlement en août 2014 sur le rattachement de l'ex Réseau Ferré de France transformé en SNCF Réseau, à la maison mère, (cf le modèle allemand). Mais il n'a pas obtenu le désendettement de l'entreprise qui la paralyse année après année. (46 milliards d'euros, c'est beaucoup.)
- Au quotidien les services des administrations centrales et les cabinets ministériels de ce même Etat qui reçoivent sans arrêt les représentants des organisations syndicales court-circuitent les dirigeants de l'entreprise, chaque fois qu'ils sont en conflits avec les personnels.
- Dés qu'un incident affecte l'entreprise comme récemment la panne électrique de la Gare Montparnasse, le Président doit donner des explications au Ministre des Transports sur de tels dysfonctionnements. (De fait, autant celui-ci avait mouillé la chemise sur le plan médiatique. lors de la catastrophe de Bretigny, celui-ci a été fort discret lors de l'incident de cet automne.)
De la sorte, le premier responsable de l'EPIC a vocation à jouer les fusibles en cas d'incident ou d'accident plus grave.
- La relation du rapport Spinetta par la presse ainsi que l'interview de madame Borne dans le JDD du 18 février 2018 sont révélateurs de l'état d'esprit qui court aujourd'hui dans les allées du pouvoir:
Pas un mot sur le rôle et la responsabilité du Président en exercice et malgré le souhait d'une gestion autonome de l'entreprise, pas une phrase sur les pouvoirs qu'il conviendrait de donner pour que l'actuel ou son successeur ait les moyens de sa politique.
Après avoir recasé au cours de son mandat rue du Commandant Mouchotte ou ailleurs, tant de conseillers techniques des différents ministères, après avoir placé dans les cabinets tant de brillants agents de la SNCF, celui-ci doit trouver très regrettable l'ingratitude de nos gouvernants à son égard.
Certes le premier Ministre lui a renouvelé sa confiance an mois de janvier. Mais tout de même que Mme Borne son ancienne collègue de la RATP devenue ministre, ne cite pas une fois la présidence de la SNCF quand elle évoque l'avenir de l'entreprise, démontre que les pouvoirs publics soutiennent le Président comme la corde soutient le pendu.
Cette réaction vis d'un responsable qui est en place depuis 2010 n'a rien de personnel. L'Etat s'estime pleinement légitime à transformer l'entreprise en lieu et place de ses dirigeants, tout en prônant une véritable autonomie de l'entreprise.
Le rapport Spinetta préconise une libéralisation et une normalisation du système ferroviaire contraire au colbertisme culturel des administrations de l'Etat.
Sans rupture de cette culture quasi soviétique, de brillants rapports comme celui de Mr Spinetta pourront continuer d'être rédigés, rien ne changera. Autrement dit, il n'y aura pas de réforme profonde de la SNCF sans celle de l'Etat qui pèse de toute sa masse sur tous les secteurs de la vie économique et sociale.
Celui-ci pourra toujours clamer qu'il est pleinement légitimé à intervenir comme aujourd'hui dans la gestion de l'entreprise au nom "du service public" érigé en valeur quasi métaphysique.
Si celui-ci doit être maintenu dans les conditions actuelles pour la SNCF, le contribuable doit s'attendre à devoir l'assumer avec son porte-monnaie sans avoir la garantie de la modernisation du réseau ferroviaire et de l'entreprise en voie d'obsolescence programmée.
Dommage!