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8 février 2016 1 08 /02 /février /2016 17:43
En finir avec l'illusoire proposition de fin des régimes spéciaux ?


On l'a connu meilleur, Sarko, lors de la dernière émission de télévision "des paroles et des actes" de début février à laquelle il était invité. Il avait décidé d'être souriant et presque onctueux face à ses contradicteurs de la société civile, que David Pujadas lui avait présentés faute de ministres du gouvernement à lui opposer ! Le tigre avait rogné ses griffes et devenait ennuyeux à force de sourires forcés. Même sa proposition de dégager 100 milliards d'économie dans les budgets, sans trop dire dans quels secteurs il les ferait, n'a provoqué aucun choc dans l'opinion publique.
Il en a profité néanmoins pour évoquer en quelques mots qu'il serait souhaitable de mettre fin aux régimes spéciaux, sans dire toutefois s'il s'attaquerait à ce chantier. Au passage, il a indiqué, ce qui est vrai, que lors de son quinquennat, il avait été le seul Président à les réformer, tant en 2008 qu'en 2010. Puis il est passé à d'autres sujets, sachant que ce dossier aurait mérité une émission toute entière.
Et comme à chaque fois, quand un homme politique parle des régimes spéciaux, (en général en mal) on ne sait en effet jamais de quoi il parle
• Est-ce uniquement ceux qui concernent des personnels de la SNCF, de la RATP ou des industries électriques et de quelques autres régimes plus confidentiels, ou s’agit-il de l'ensemble des agents statutaires des fonction publiques? De 500 000 à 4,665 millions cotisants, ce n'est pas tout à fait le même sujet.
• Doit on évoquer uniquement la remise en cause des avantages liés à la retraite ou faut il englober celle de la protection maladie spécifique qui concerne notamment les agents et retraités des régimes des ex- entreprises publiques de 1945? Demandez à ces ressortissants s'ils sont d'accord pour toucher à un iota de la protection dont ils disposent pour leur santé, vous les verrez sortir leurs fourches, car le niveau de leurs garanties est très supérieur à celle proposée par la branche maladie du régime général à l'ensemble des salariés.
Mais en supposant que le sujet ne concerne que la retraite (seul abordé dans ce papier), l'idée d'une fin des régimes spéciaux évoquée par l'ancien président de la République est en soi à placer au magasin des promesses qui n'engagent que ceux qui les croient, à moins d'avoir la prétention de se lancer dans des chantiers comparables aux travaux d'Hercule.


1) Sur le plan historique et institutionnel tout d'abord, la construction des régimes spéciaux est plusieurs fois centenaire. Elle a commencé dès le XVIIème siècle avec le régime de la marine. À côté de ce dernier, des régimes des mines, de la comédie française, de l'opéra de Paris, de la fonction publique d'Etat et des entreprises publiques nationalisées en 1945, le système de retraite du régime général est un jeunot, même si aujourd'hui, du fait de ses effectifs et de sa puissance financière et technique, il a tendance à tout emporter sur son passage.
Cette historicité des régimes spéciaux est la marque de l'importance de la puissance publique dans notre vieille France qui a perduré de l'ère de Colbert jusqu'à la troisième république en passant par le second empire. Sous la quatrième qui a vu naître le Régime de retraite des collectivités locales, alors que leurs agents auraient pu être affiliés au régime général, cette tendance à la spécialisation des retraites du secteur public, (Mines, SNCF, EDF GDF, ports autonomes inclus) s'est donc renforcée.
Sauf à disposer d'une stature gaullienne, il est peu d'hommes politiques de nos jours qui soient prêts à lutter contre les pesanteurs historiques de notre pays. Et celle des régimes spéciaux du secteur public en est une majeure car elle symbolise le poids (lourd) de l'Etat dans tous les compartiments de la vie institutionnelle, économique, sociale et psychologique de la Nation française.
Frédo, le rédacteur de ce papier qui fut professeur d'Histoire avant d'entrer à la Secu, a noté que le fondateur de la Vème république en 1958, grand acteur de l'Histoire des années quarante jusqu'à 1969, s'était bien gardé de s'attaquer à "ces vaches sacrées spéciales" listées dans l'article R711-1 toujours bien vivant du code de la Sécurité Sociale


2) Sur le plan électoral en second lieu, si, qu'à Dieu ne plaise, Frédo la Secu était conseiller social d'un candidat à l'élection présidentielle, se garderait bien de lui vendre cette idée saugrenue d'organiser un clap de fin pour les régimes de retraites du secteur public.
Car d'emblée, inquiéter près de 4,281 millions d'actifs et de 3,511 millions de retraités (en 2013) susceptibles de mettre un bulletin dans l'urne, ce n'est pas très vendeur surtout si le contenu précis de cette normalisation n'est pas communiqué.
Par essence, un régime de retraite ne se ferme pas, il s'éteint sur plusieurs années voire quelques décennies. L'adversaire politique ou syndical d'une telle proposition n'aurait pourtant aucun mal à crier que les retraites des intéressés seraient menacées dès le lendemain du scrutin.
Il y a donc lieu d'être très prudent avant de faire de la suppression des régimes spéciaux du secteur public un argument de propagande médiatique en faisant jouer le ressort malsain de la jalousie sociale des salariés du secteur privé et d'autres catégories sociales contre les agents publics, au nom de l'équité.


3) Sur le plan juridique, proclamer la fin des régimes spéciaux , c'est prévoir l'harmonisation des règles des régimes de retraite qui constitue une opération des plus complexes, sur laquelle les appareils politiques "faiseurs de roi" sont incapables de se pencher (même s'ils en avaient la volonté.)
• Il est évidemment hors de question de changer les règles des pensions déjà liquidées sauf à transformer les retraités, pour la plupart paisibles et débonnaires, en lions enragés.
• Mais les agents publics ou parapublics qui cotisent aujourd'hui pour un régime spécial avec la promesse de droits spécifiques à qui on annoncerait la fermeture de leur régime ne seront pas moins véhéments. Frédo la Secu risque d'attendre longtemps l'homme politique qui aura le courage d'annoncer aux agents de la SNCF et de la RATP et aux agents des services actifs de la fonction publique, dont le départ en retraite est possible à 57 ans, qu'ils devront, même avec une application progressive en fonction de leur durée de carrière, partir à 62 ans comme au régime général.
• Mais sans trop techniciser cet article, il y a bien d'autres règles à harmoniser,telles que celles des taux de cotisation, des périodes de travail à valider pour la retraite, de la rémunération à prendre en compte, de la date de versement des pensions, du calcul des pensions et du système des pensions de réversion.
• Bien sûr, il est toujours possible de se limiter aux régimes des ex-entreprises publiques réformées en 2008 et 2010, pour limiter l'ampleur du travail juridique à accomplir.
• Mais dans la mesure où les grandes règles de fonctionnement ont été rapprochées du Régime de la fonction publique d'Etat sur la base de la réforme Fillon de 2003, il sera très difficile, au nom du principe d'égalité, de réformer ces régimes sans modifier le cœur du système contenu dans le code des pensions civiles.
Devant une telle tâche, il reste en apparence une solution indolore sur l'instant, qui consisterait à limiter la réforme aux seuls nouveaux actifs, ce qui aurait sur le plan des pensions l'avantage de n'avoir d'effet que plusieurs décennies après la mise en application de la réforme, mais avec l'inconvénient d'un rendement financier initial très faible. Une fois de plus, ce sont les jeunes entrants qui seraient les dindons de la farce.
En tout état de cause, la sous-direction des retraites de la direction de la Sécurité Sociale devrait recruter une armée de juristes pour mettre en œuvre un tel chantier d'harmonisation des régimes. Au moins, les étudiants des facs de droit n'auraient plus de souci à se faire pour leur emploi. La secu aurait de gros besoin de compétences juridiques.


4) Mais une telle réforme de fermeture des régimes aurait des conséquences incalculables sur le financement des régimes spéciaux et les finances publiques.
• Pour la SNCF et la RATP tout d'abord, la contribution d'équilibre assumée par l'Etat que ces régimes perçoivent respectivement (3,4 milliards er 450 millions en 2014), serait inévitablement majorée pour financer les avantages spéciaux des pensionnés actuels. Bercy en serait sûrement ravi.
• En second lieu, il conviendrait de fixer des règles de reversement de cotisation émanant tant du Régime de base que des régimes complémentaires, vers les régimes spéciaux qui devront toujours financer leurs pensionnés. Financiers, sortez vos calculettes pour trouver les bonnes modalités de calcul !
• Troisième point, l'utilisation du système de pensions du régime général impliquerait que toutes les ressources acquises par les agents des services publics soient soumises à cotisation, ce qui n'est pas le cas pour les primes ( à l'exception,dans une faible mesure, des cotisations du "régime additionnel de la fonction publique". Une telle disposition aurait un impact de plusieurs milliards d'euros annuel pour le secteur public qui devrait s'acquitter de cotisations nouvelles.
• Quatrième point et ce n'est pas le moindre, il conviendrait de revoir l'ensemble des circuits de financement entre l'Etat et la Sécurité Sociale pour le versement des cotisations et des pensions. Donner le pouvoir aux URSSAF pour les cotisations des agents publics et aux caisses du Régime de retraite pour le calcul des pensions du secteur public, quelle horreur pour les fonctionnaires si attachés au principe de l'inscription des pensions dans le grand livre de la dette !
On passera sur les travaux de rénovation des systèmes d'information budgétivores qu'une telle réforme impliquerait. Mettre en place un compte individuel unifié pour l'ensemble des retraités, quels que soient les régimes, ne s'organise pas par la seul force d'un coup de menton autoritaire du ou de la ministre en charge des retraites. Le calendrier de mise en œuvre du répertoire général des carrières unique prévu par la loi ne sera pas mis en œuvre avant 2017.
Dans ces conditions, envisager un mode de calcul des pensions unique, si tant est qu’il soit voté par le Parlement, constitue un chantier technique impossible à réaliser avant plusieurs années. La Sécu n'a tout de même pas vocation à recruter des informaticiens, qui ne pourraient d'ailleurs travailler correctement qu'avec un cahier des charges clair, ce qui n'est pas souvent le cas, tant les règles des régimes de retraite sont complexes.


5) Sur le plan social, il ne faut pas être grand clerc, devant un tel projet de fin des régimes spéciaux de retraite, pour prévoir des manifestations de protestation au moins aussi importantes que celles de 1995, lorsque la réforme Juppé, qui incluait la réforme des régimes spéciaux, a été présentée. Certes, de l'eau a coulé sous les ponts depuis ce grand mouvement social. Des gouvernants courageux en 2003, 2008 et 2010, ont permis d'accrocher durablement les régimes spéciaux au train des réformes subies par le régime général. Néanmoins, de droite comme de gauche, tous les initiés sont conscients du fait que les régimes spéciaux sont difficiles, voire impossibles à supprimer ( à commencer par celui de l'Assemblée Nationale et du Sénat.) Un peu de poujadisme sur ces deux derniers régimes ne fait de mal à personne.

Conclusion : Faute de grande réforme des régimes spéciaux, proposons-en une petite.

Fredo la Secu se permet, conscient de l'impossibilité de mettre fin aux régimes spéciaux, de proposer une réforme bien modeste dans le mode calcul des pensions du secteur public.
Pour des raisons évidentes de clientélisme électoral, la réforme Ayrault n'a pas touché aux systèmes de retraite du secteur public, même si la durée de cotisation doit être identique au secteur privé sur la longue durée (43 ans en 2035.) ainsi que les augmentations de cotisation salariale.
Pour empêcher une forte réaction des agents du secteur public, il n'a pas été notamment prévu de modifier le calcul de la retraite sur les six derniers mois de la carrière. Le rapport "Nos retraites demain" qui a précédé la réforme, préconisait pourtant une durée de trois à dix ans, intégrant une partie des primes dans la rémunération prise en compte pour le calcul de la retraite.
Aucune suite n'a été donnée à cette proposition. Le principe d'égalité si cher à notre président de la République comporte tout de même des limites, car un vague argumentaire sur la prétendue équivalence des retraites du secteur public par rapport au secteur privé a suffi pour rejeter la proposition d'inclure les régimes spéciaux dans la réforme 2013.
Cette mesure aurait au moins une vertu. Elle éviterait pour les agents de certains corps de bénéficier d'un coup de pouce de fin de carrière dont l'effet se prolonge pendant toute la retraite, sans contrepartie des cotisations patronales et salariales correspondantes. Dans la discrétion la plus totale se multiplient ainsi, sans que ceci soit chiffrable, les "avantages pour bons et loyaux services" au profit de quelques-uns bien notés, à l'occasion de leur départ en retraite.
Dans un certain nombre de cas, c'est même une condition de départ après négociation.: "je pars si je bénéficie d'un échelon supplémentaire six mois avant ma retraite puisqu'il est pris en compte pour le calcul de celle-ci. Auquel cas, la faveur devient un instrument de management pour faire partir les importuns.
De tels coups de pouce sont sans effet dans le secteur privé puisque la pension est calculée sur les 25 meilleures années. Établir un salaire moyen sur une durée de trois à dix ans aurait ainsi pour effet de moraliser le système du secteur public, chaque fois qu’il autorise de telles dérives anti-actuarielles. Elle présenterait aussi l’avantage d’une convergence importante en matière de détermination salaire annuel moyen entre le secteur public et le secteur privé.


Nul doute que cette réforme significative ferait l'objet de vigoureuses protestations qui se feront entendre du côté de tous les agents qui pourraient prétendre à ce privilège, quel que soit leur niveau de qualification. Mais comme Frédo la Secu est un (jeune) retraité irresponsable du secteur privé, il n'en a cure.

Frédéric Buffin

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