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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 18:10

Oraison funèbre de papa 1er Juillet 2007

 

Papa nous a quittés "pour rejoindre la maison du père", après une vie bien remplie. Pourtant, nous voudrions mes frères et sœurs, sans trop de tristesse,  vous faire partager les souvenirs heureux de celui-ci plutôt que de vous imposer un panégyrique  fastidieux.

 

Enfant, placé soudainement dans un pensionnat religieux de Marseille à la suite de la séparation de ses parents à l’âge de six ans, il nous décrivait souvent  l'horreur culinaire qu'il subissait tous les jeudis en mangeant le hachis du Sacré-coeur sans doute composé avec tous les restes de la semaine.

 

« Jamais » nous disait-il, parfois des larmes dans les yeux, « je n'ai mangé  quelque chose d'aussi répugnant même au pire moment de ma captivité. » Comme quoi la douleur d'une rupture familiale peut s’exprimer longtemps après, par le canal des papilles gustatives.

 

Lycéen et étudiant des années trente, il s’y était crée ses repères qu'il n'avait jamais vraiment quittées. A  cette époque il se couvrit de gloire à l'école Lacordaire des dominicains en participant à la victoire footballistique des « philo maths » contre l'équipe locale en jouant arrière gauche, épisode rapporté dans le « Provençal ». Ce récit m’étonnait, car je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais joué au foot avec mon père.

 

Fort  de ses origines méditerranéennes, même s’il n’aurait jamais quitté Paris à aucun prix, Il nous parlait de son oral du  bac français au  cours duquel, interrogé sur le Félibrige et Frédéric Mistral,  il obtint la note suprême de 20 sur 20.

 

Il évoquait périodiquement l’épisode terrible des émeutes du 6 Février 34 après l'affaire Staviski, au cours duquel, contrôlé par un pandore peu aimable qui lui demandait ses papiers, il faillit se retrouver au bloc parce qu'il lui avait dit avec un brin d'agacement: « vous aurez l'obligeance de me les rendre. » Comme quoi le goût familial pour l'impertinence polie vient de loin.

 

Et puis, il y eut les années de guerre qu'il nous racontait comme s'il en avait été un simple spectateur attentif. Il comparait les bombardements qu'il avait subis lors de la débâcle de l'armée française, à  de beaux feux d'artifice manquant toutefois de couleur.

 

Il évoquait sa vie de prisonnier au stalag 1 B en  Prusse orientale entre ses activités de chanteur comique de la troupe de théâtre pour tromper l'ennui et celles de vacher en commando; ce qui nous laissait parfois à penser que sa captivité n'avait été  pour lui qu'une aimable quoiqu'un peu longue, colonie de vacances en milieu rural.

         

Et pendant longtemps nous n'avons rien su des conditions dramatiques de sa libération par les troupes soviétiques en 1945. Aucun de ses récits ne devait nous éloigner  par une évocation trop tragique de sa part,  des rivages sécurisants de l'enfance.

 

Je ne sus que par hasard à 20 ans, qu’il avait eu droit à la croix de guerre, salué par les autorités militaires pour « son rare sang froid et son très grand courage. »

 

Après la guerre, Papa a su construire avec Maman ici présente, une famille de six enfants et de vingt petits enfants qui constituait, disait-il, le bonheur de sa vie. Il éprouvait presque une fierté d’avoir pu se stabiliser à Montrouge où il était installé depuis près de 48 ans après tant d’années d’incertitudes.

 

Il participait notamment aux activités de la paroisse ( il ne voulait jamais manquer une messe). Il s’occupait des anciens combattants que nous remercions de leur présence, Il  recevait ses amis et notamment Bernard Lalande avec qui il avait partagé sa captivité en ayant tissé avec lui des liens inaltérables.

 

Je passerai  sur sa carrière professionnelle au ministère de la culture, car il était impossible de lui tirer une quelconque information sur ce qu'il y faisait ; à se demander si la gestion des gardiens  de musée ou la réglementation sur les droits d'auteur, ne relevaient pas pour lui du « secret défense. »

 

Puis ce fut le temps de la retraite qui fut très longue, Papa ayant eu la prudence de ne jamais prendre un volant de toute sa vie, heureusement pour nous.

 

Vers la fin de sa vie, du fait de son esprit d'indépendance, Papa ne voulait pas rejoindre une maison de retraite, de sorte que, chantant parfois le matin « l’internationale » et l’après-midi » minuit chrétien », il s’est éteint doucement chez lui comme la flamme d'une chandelle en défaut de cire.  On ne saurait trop remercier tous les personnels et notamment Marie Jeanne et Pélagie, qui l’ont aidé jusqu’au dernier moment à accomplir les gestes les plus simples de la vie quotidienne.

 

Il put ainsi tenir jusqu’au bout, la main de son épouse avec qui il a vécu pendant soixante ans, accompagné des voisins de la rue Louis Rolland qu’on ne saurait trop remercier de leur présence jusque dans les instants ultimes.  Merci enfin à Pascale qui lui a fermé les yeux  et qui lui a fait sa toilette mortuaire.

 

Nous entourons aussi maman ici présente qui l'a accompagné plus d'un demi-siècle, même si c'était parfois en manifestant un agacement rugueux vis à vis de ses travers et de ses radotages aussi cultivés fussent-ils.

 

Au bout du compte quand il se présentera devant Saint Pierre aux portes du paradis, il disposera d'un assez joli curriculum vitae qui lui donna la force tranquille de vivre après les JMJ de 1997, l'an 2000, l'euro  et la canicule de 2003.

 

Au revoir, Papa et surtout prends  le paradis pour une université populaire comme tu le fis pendant des années avec la section linguistique de l'école  des hautes études, qui n'a d'ailleurs de pratique que l’épithète, ce qui n’était certes pas  ta qualité dominante.

 

Sinon tu risquerais de perdre le moral qui t'as permis de vivre aussi longtemps avec celle qui t’a supportée pendant plus de soixante ans et qui t’a soutenu jusqu’à ton dernier souffle.

 

 Et à bientôt dans la maison du père, mais si le bon Dieu le veut, pas trop tôt.

 

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 17:39

par Frederic Buffin, dimanche 18 septembre 2011, 07:59

Les effets du lait en vrac sur la formation intellectuelle d'un petit garçon.

J'aurai connu quand j'étais tout gamin la vente de lait en vrac rue des martyrs à Paris. J’étais tout content de porter le pot en aluminium dans lequel  le crémier versait le précieux liquide qui contenait encore toute sa crème dont ma mère faisait des gâteaux délicieux.

 

J’ai encore dans mes narines l’odeur de la crèmerie embaumée de tous les fromages de France. Le Gruyère du Jura, mélangé au Brie et au Coulommiers de l’Ile de France ainsi qu’ au Roquefort du plateau du Larzac, composaient une alchimie olfactive inoubliable qui flattaient mes narines d’enfant.

Dans 30 mètres carrés de local commercial en pleine ville, il y avait là un concentré de la diversité si extraordinaire de la campagne française: L’Auvergne avec son Cantal, son Saint Nectaire et ses pâtes persillées; la Savoie et ses pâtes pressées, l'Abondance, le Beaufort, le Comté; la Normandie et son Camembert, son Livarot et son Pont l'Evêque. Bien entendu, je n'oublie pas le Munster d'Alsace, le Maroilles dont les Nordistes sont si fiers et l’Etorky du Pays Basque.

 

 

 Je ne peux les citer tous et toutes. On voudra bien me le pardonner. La France profonde et rurale à Paris, la Ville par excellence, c'est le souvenir  que j'ai de ce commerce au temps de l'âge d'or du petit commerce.

 

Bien entendu, la pasteurisation, l'industrialisation et leur grande sœur l'urbanisation, ont mis fin à cette vente de lait cru au grand air de Paris. Le lait UHT a triomphé ainsi que bien des fromages industriels, qui sans être mauvais, n'ont pas le caractère de ceux d'antan. La commission de Bruxelles et ses normes hygiénistes jusqu'à l'ennui, sont passées par là. La pub à la télévision a achevé de ringardiser ce type d'activité. Mais que cette crèmerie était jolie et qu'elle sentait fort le pays des trois cents fromages!

 

C'est pourquoi sur le tard, une interrogation me taraude sans que personne ne puisse y répondre: Comment ce pays peut-il être à la fois ce plateau de fromages aux formes, aux goûts et aux odeurs si contrastés et en même temps celui qui a vu naître la Déclaration de l'Homme et du Citoyen? Ancêtre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme à laquelle le Français René Cassin a largement contribué, ce texte a fait beaucoup pour uniformiser les consciences, comme les normes d'hygiène pour affadir les fromages.

Une telle énigme qui pourrait être le sujet d'une thèse universitaire me dépasse alors que se développe dans la France d'aujourd'hui une double aspiration au maintien de l'Etat Providence,  Sécurité Sociale incluse, et au développement des libertés locales et associatives.

 

Comme quoi l'odeur et le goût du bon fromage qui fonctionnent chez moi comme la madeleine de Proust (il en existe encore quoiqu'en disent les écolos)  peuvent servir de prolégomènes  à une intense réflexion socio- historique sur une nation tous les jours plus urbanisée et qui vit dans la nostalgie de la campagne d'antan.

 

Le fromage comme ligne Maginot contre la mondialisation, tout un programme !

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 17:33

 Frederic Buffin, lundi 19 septembre 2011, 22:50

Les joieset les peines de "la laïque."

 Mon père qui n'aurait  manqué une messe dominicale pour rien au monde, considérait qu'il avait une dette vis à vis du Ministère de l'Education Nationale, son premier employeur à son retour de captivité. Dans ces conditions, inscrire ses enfants dans l'enseignement privé aurait constitué une traîtrise et une infamie vis à vis de la rue de Grenelle. Le principe était simple: un enfant d'un cadre de la Fonction Publique ne pouvait inscrire ses enfants ailleurs qu'à l'école publique. J'ai donc appris à lire, écrire et compter dans deux de ces petits hauts lieux de la république

En fait j'aurai connu l'école laïque à l'ancienne mode. La seule, la vraie, la pure qui ne doutait pas d'elle- même, qui honorait Clovis, Colbert et les Poilus de la Grande Guerre dans une bonne continuité historique franchouillarde. On y apprenait encore les départements et leur préfecture. Au fond de la classe s'affichaient les leçons de morale civique et personnelle. Et dans le cadre de la promotion du mérite républicain, nous avions droit au classement mensuel du premier jusqu'au dernier, sans que les parents en soient traumatisés et ne contestent l'évaluation pas toujours très tendre de leur petit génie.

C'était l'époque où l'école laïque ouverte à tous,  voulait dire blouse grise obligatoire et plume Sergent Major  pour tous, aussi bien rue Milton à Paris que rue de Bagneux à Montrouge. Sur le tard, j’ai compris que ce vêtement uniforme en coton rêche, allié au buvard et au pot d’encre en porcelaine blanche, n'étaient pas des accessoires simplement typiques de la "laïque", mais en constituaient ses fondements identitaires.

Quant aux instituteurs, sans qu'ils ressemblent aux hussards noirs de la Troisième Républiques, ils suscitaient une crainte révérencieuse qui avec le recul m’ont fait penser aux adjudants des bataillons disciplinaires, avec en sus un brin d'humanité pédagogique qui ne gâchait rien.

Dans la salle de classe, je me souviens encore des coups de règles sur les doigts par le maître en cas d’erreur de calcul mental et de la mise au piquet humiliante pour écart de conduite. Résultat, je suis très bon en calcul et je sais ce qu’il en coûte de transgresser l’ordre public, ayant connu de temps à autre les contraintes de ce pilori d’un autre âge!

J'ai encore en mémoire les séances de cinéma du samedi après midi obligatoire dans une France encore sans résidence secondaire. Il y avait devant l'écran un banc réservé aux cancres de la semaine tourné vers les spectateurs avec interdiction pour ces quasi-délinquants, de se tourner pour regarder le film. "Les nuls" comme nous disions avec une férocité enfantine mais bien réelle, avaient déjà bien de la chance de pouvoir écouter le son. Un peu de sadisme pédagogique ne dérangeait personne à l'époque!

Mais au-delà des solides principes d'instruction que m'ont inculqués mes maîtres, la cour d'école constituait un lieu décisif d'éducation. J'y aurai appris le  sens du rapport de force et de la violence lorsqu'un groupe décidait de se mesurer avec les poings aux membres d'un autre, la loi de l'offre et de la demande ainsi que les plaisirs malsains  de la spéculation autour du trafic de billes ou d'images de vedettes sportives, et évidemment le sens de la compétition grâce au jeu d'osselets, aux divers jeux de billes et à celui des courses de petites voitures.

Pour finir, le parcours de l'école primaire, il y avait l'examen d'entrée en sixième qui permettait aux premiers de classe d'entrer directement au lycée, avec les premières craintes de la sélection dès le plus jeune âge. Les autres étaient relégués dans un collège de deuxième zone qui n'avait pas le même prestige. Le stress engendré par la dictée à quatre points en moins par faute et le problème de calcul sous forme de mesure du robinet qui fuit, valait bien l'angoisse des candidats aux concours des Grandes Écoles. Pour ceux qui ne franchissaient pas la rampe de cet examen, la notion de mérite républicain comportait quelques limites.

Au bout du compte, il n'y a pas lieu de regretter cette férule d'une autre époque. Si elle respirait l'ordre et l'autorité, elle n'inspirait guère l'imagination. Ceux qui pensent pouvoir la rétablir selon les principes que j'ai vécus, sont dans l'erreur nostalgique.

A l'heure de la télévision et du web, de l'explosion du consensus social sur les méthodes pédagogiques et de la baisse malheureuse de l'autorité du magistère enseignant, l'école est entrée dans une autre époque.

  Soyons tout de même optimistes et faisons confiance aux enseignants en   exercice qui ont le courage d'affronter des publics beaucoup plus divers et perturbés qu'autrefois, pour trouver les mots qui vont bien face aux enfants d'aujourd'hui.

Dernier point, peut-être futile pour certains, les couleurs des vêtements portés par les bambins de nos cités sont tout de même plus gaies que le gris des blouses des enfants de Doisneau, ce photographe qui nous croquait avec talent, au temps du noir et blanc.

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 17:30

Les délices de la messe en latin.

 

J'aurai connu les prêtres en soutanes et les bonne sœurs en cornettes de la paroisse Notre Dame de Lorette dans cette église qui sentait bon l’encens et le cierge brûlé. Je ne comprenais rien au sens profond de la cérémonie dont la signification transcendantale m’échappait, alors que jouer avec la poussette de ma petite sœur en parcourant la nef poursuivi par mes parents qui cherchaient à mettre fin au désordre liturgique que je provoquais, me passionnait davantage.

 Mais j’ai vite compris que je ne pouvais pas divaguer ni hurler dans ce saint lieu comme je le faisais dans les jardins de la Butte Montmartre. Seul le chuchotement était de mise pour ne pas troubler l'ordonnancement hiératique de la cérémonie. Et si je n'étais pas vraiment poussé par une forte inclination mystique à l'exercice de la prière, du moins aurai- je  appris à faire silence dès mon plus jeune âge, alors que j'avais dans la rue une tendance "singe hurleur" qui ne recueillait pas l'assentiment de mes géniteurs!

C'était le temps regretté par les intégristes, de la messe en latin selon le rite de Saint Pie V. Le célébrant portant sa chasuble finement brodée tournait le dos aux fidèles, avec les enfants de chœur appelés à manier la sonnette au moment de la consécration, comme si les croyants trop endormis devaient se réveiller en ce moment crucial.

 

De temps en temps, nous avions le privilège d'apercevoir le calice et le ciboire quand le prêtre daignait le porter à bout de bras. Le reste du temps, j'avais l'impression qu'il jouait à la dinette dans son coin, comme si celle-ci relevait du secret d’Eglise.

 La communion se prenait à genoux et sur la langue. Et l'hostie nous était interdite, si nous avions osé consommer un quelconque aliment moins de trois heures avant. Il ne fallait pas plaisanter avec le sacrement de l'eucharistie, ni avec la présence réelle du Christ.

Lors des oraisons dominicales, le desservant inspiré par une bonne pensée janséniste bien de chez nous, évoquait plus le péché, la faute originelle et l'empreinte du malin que le pardon, l'amour et l'espérance. Mais pour les nostalgiques, c'était si beau la crainte du jugement dernier exprimée en latin. Et pour les autres fidèles, ça ne les gênait pas puisqu'ils ne comprenaient rien aux subtilités de la langue vaticane.

C'était aussi les derniers temps du catéchisme d’antan avec la distinction entre le péché véniel et le péché mortel, la définition précise de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis et l’apprentissage obligatoire du Credo, du Gloria, du Tantum ergo et de l’acte de contrition.

Vatican II a balayé en peu de temps, après tant de siècles de tradition, cet ensemble de rites, de règles, de chants, pour tenter de remettre le message d'amour du Christ au centre de la foi chrétienne. Quelle périlleuse entreprise que de vouloir modifier le cadre confortable dans lequel se mouvaient des fidèles dont beaucoup se satisfaisaient de la stabilité liturgique et spirituelle qui leur était proposée chaque dimanche!

Troquer la religion contre la foi, développer pour le plus grand nombre le message caritatif au sens spirituel du terme, développer l'option préférentielle pour les démunis, c'était le défi impossible mais nécessaire des Pères conciliaires promoteurs de l'Eglise d'aujourd'hui.

Nous sommes aujourd’hui évidemment  à mille lieux des cérémonies  du culte à l'odeur d'encens de mon enfance, mâtiné d’un savoureux latin de cuisine à l’usage des fidèles qui connaissaient mal la langue de Cicéron.

Mais la répétition hebdomadaire quasi immuable d’un rite multiséculaire, rassurait bon nombre d’entre eux, même si la transmission d'une foi vivante par le biais d'une langue morte pouvait poser légitimement question.

 

Frédéric Buffin septembre 2011

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