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5 novembre 2013 2 05 /11 /novembre /2013 07:40

1) Relire Flaubert, critique en humanité.

Qui n'a pas lu, souvent plus par obligation que par plaisir, l'Education sentimentale, Madame Bovary, ainsi que Bouvard et Pécuchet, ces trois grandes œuvres majeures de Gustave Flaubert rédigés dans un Français concis qu'on n'écrit plus? Elles en disent plus sur la province de la moitié du XIXème siècle que toutes les sommes des historiens qui ont décrit cette époque.

Aux amateurs du créateur d'Emma, si prompte à se mettre dans le pétrin par crainte de l’ennui du quotidien, et de Mr Homais, pharmacien de son état, aussi sot que prétentieux dans ses affirmations pédantesques, je conseille de se plonger dans une œuvre moins connue, mais tout aussi pamphlétaire. Elle n'a été publiée qu'à la veille de la « Der des Der », soit plus de 30 ans après la mort de l’écrivain normand et s'intitule :"Dictionnaire des idées reçues ». On y trouve quelques définitions particulièrement savoureuses, d’autant plus incontestables qu’elles assènent sans les expliquer des vérités quasi révélées.

« Budget: jamais en équilibre. » (Formule toujours actualité).

« Députés: ne font rien. » (L'antiparlementarisme ne date pas d'hier.)

« Dommages et intérêts » : en demander toujours. (Comme les expertises médicales en ATMP).

« Concessions, n'en jamais faire : elles ont perdu Louis XVI ». (Pour les managers hésitants.)

« Époque, la nôtre: tonner contre elle. » ( Le c’'était mieux avant’, ne date pas d’hier.)

« Frauder. C'est une sorte d'esprit et d'indépendance politique. » (Sport national, très pratiqué tant vis-à-vis du fisc que de la Sécu.)

« Illisible: une ordonnance de médecin n'est efficace que si elle est illisible. » (À quand l'ordonnance électronique, toujours annoncée, mais jamais mise en œuvre?)

« Médecine. S'en moquer quand on se porte bien. « (On sera tous un jour malade, prudence.)

Orchestre. Image de la société. Chacun fait sa partie et il y a un chef. (Proudhon n'avait pas encore déliré sur l'anarchie.)

« Ordre. Que de crimes commet-on en ton nom. » (Théorie du b...ambiant)

« Ouvrier. Toujours honnête quand il ne fait pas d'émeute. » (Paternalisme d’un autre âge ? Pas sûr.)

Toute sa vie d’auteur, Flaubert aura cherché la formule lapidaire disqualifiant un comportement, une conduite ou un propos propres à ranger dans le magasin des principes éculés de la morale bourgeoise qu’il exécrait comme la peste. Cette critique subversive de l’étroitesse de vue de ses contemporains exprimée par le Verbe (fait chair,) explique sans doute pourquoi il est toujours aussi plaisant malgré le temps qui nous sépare de son époque, de se plonger dans la lecture de ses œuvres. Comme chacun sait, la bêtise est universelle et pérenne. Elle s’épanouit dans tous les milieux et même chez les gens les plus intelligents. C’est la grande leçon de ce célèbre écrivain.

2) Moins concise, il existe déjà toute une littérature sur les idées reçues sur la Sécurité Sociale.

Comme la Sécu est devenue un être social irremplaçable qui couvre la population du berceau à la tombe, elle est la source d’affirmations polémiques qui génèrent des réactions de défense ou d’attaque sur le mode : « Rétablir la vérité contre les idées reçues sur… » Il est possible d’en citer au moins trois exemples.

« Les caisses d’allocations familiales sont déficitaires. » C’est le titre d’un article du Journal L’expansion du 7 Mai 2013 qui dénonce les charges jugées indues d’environ 9 milliards d’euros qui pèsent sur la branche famille et qui relèvent principalement de la branche retraite. (Majoration de retraite et assurance vieillesse des parents au foyer.) Le déficit annoncé par les pouvoirs publics d’environ 2,6 milliards d’euros serait donc une idée reçue et une menterie qui menacerait le dispositif d’aides consacrées aux familles.

En Avril 2012, dans une publication intitulée, « Les idées fausses, ça suffit, »ATD Quart Monde y est allé de sa dénonciation de l’idée selon laquelle les pauvres pèseraient lourdement sur les comptes sociaux. Dans un long argumentaire sur les minimas sociaux, le mouvement taille en pièces le propos communément admis selon lequel il serait possible de gagner plus avec le RSA qu’en travaillant avec une rémunération égale au Smic. De même pour la CMU qui prendrait en charge des soins de confort dont les bénéficiaires n’auraient pas besoin.

Plus préoccupant, fleurissent les blogs qui diffusent de longues explications sur le fait que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne aurait mis fin au monopole de la Sécurité Sociale, monopole ravalé au rang d’idée reçue. Il serait ainsi possible de s’affilier à un régime privé régi par le Code des Assurances. A la suite d’une récente décision du mois d’octobre, concernant une caisse allemande, la polémique a rebondi. La Direction de la Sécurité Sociale a dû diffuser un communiqué de rappel des obligations et de cotisation à cette noble Institution. Elle indique même que l’incitation à la désaffiliation est passible depuis 2007 de sanctions pénales. Comme quoi la chasse à certaines idées reçues peut coûter très cher !

Mais en ces temps où personne n’a plus le temps de lire de fastidieux développements sur la mise en déroute de poncifs communément partagés par l’opinion publique, ces trois argumentations, même la plus contestable, sont trop longues. Elles n’ont pas stylistiquement parlant, la concision des formules des héros de Flaubert, qui, malgré leur stupidité, ferment la porte à toute contestation par leur ton si assuré qu’elles font autorité.

3) Pour une contribution à un « Dictionnaire des idées reçues sur la Sécu »

La Sécurité Sociale est une Institution trop récente, même si elle a maintenant dépassé les soixante ans, pour être bien connue, par ses financeurs comme par ses bénéficiaires. En témoignent un certain nombre d’affirmations erronées et souvent très critiques qui courent sur elle, y comprit dans les médias, comme les quelques exemples ci-dessous :

Agents de la Sécu. « Tous des fonctionnaires. » Derrière cette dénomination inexacte et péjorative (ils sont agents privés soumis pour la plupart à une convention collective), l’assuré qui s’exprime ainsi envie la garantie de l’emploi existant de fait dans les Caisses et le travail de bureau qualifié de « pépère » par tous ceux qui n’ont jamais mis les pieds ni dans un organisme, ni dans une administration d’Etat.

Caisse de sécu. « Je vais faire la queue au guichet de la Sécu, pour les remboursements des prestations maladie et à la CAF pour les allocs » dit-on dans le langage populaire. L’idée que la Sécu regroupe l’Assurance Retraite, l’Assurance Maladie et les Prestations Familiales est peu connue du grand public qui pense de surcroit que Sécu est synonyme de file d’attente.

Charges sociales. « Toujours trop élevées. » Parole d’employeur toujours en quête d’exonérations de cotisations sociales qui dépassent pourtant les 30 milliards d’euros.

Contribution sociale généralisée. « Impôt social qu’on augmente quand on est au gouvernement et qu’on critique quand on est dans l’opposition. » Avec la CASA, cette idée reçue est…recevable.

Code de la Sécu. « Gros livre rouge illisible, compris par les seuls agents de la Direction de la Sécurité Sociale. C’est normal, ils en sont les rédacteurs. » Assertion inexacte : il y a d’excellents commentateurs et « applicateurs » dans les caisses, les cabinets d’avocats et les tribunaux des affaires sociales.

Comptes de la Sécu. « Toujours dans le rouge. C’est mal géré. » Pour avoir dit qu’elle ne serait pas le ministre des comptes, une digne représentante du Conseil d’Etat qui avait en charge les comptes sociaux, perdit son portefeuille au début des années quatre-vingts. Depuis, la tendance aux déficits n’a fait que se renforcer, moins par mauvaise gestion, que par la pression de la population et de leurs élus ainsi que de tous les lobbys qui « prospèrent sur le dos de la Sécu ».

Gestion administrative. « Si on diminuait les dépenses de fonctionnement des caisses de sécu, son déficit serait réduit de façon significative. » Il n'y a que les gogos pour souscrire à une telle ânerie, même si on peut toujours faire mieux en termes de performance à moindre coût. (la GA 2012 du régime général hors investissements s'est élevée à 10 3 milliards d'euros pour un déficit évalué à 16.) Moins de 3% de frais de gestion sur 450 milliards de dépenses, pour l'ensemble des régimes de sécurité sociale ce n'est pas si mal à côté de ceux des assureurs complémentaires jamais inférieurs à 10%. Le monopole sous tutelle d'Etat avec les outils des conventions d'objectif et de gestion, à tout de même quelques vertus.

Lutte contre la fraude. « On réduirait de façon massive le déficit de la Sécu, si on voulait vraiment lutter contre. » Si cette lutte est indispensable pour maintenir la confiance des acteurs économiques et sociaux ainsi que les bénéficiaires, les sommes récupérées au titre de la fraude (500 millions en 2012) ne sont pas à la hauteur des déficits constatés et prévus (16 milliards en 2013, 13 en 2014.)

Partenaires sociaux. « Par leur présence dans les Conseils d’Administration des Caisses, ils gèrent la Sécurité Sociale.» En réalité, les représentants de l’Etat sont toujours sous la table pour valider la moindre de leurs décisions. De plus les lois de financement de la Sécu ont réduit leur marge d’influence. Il ne leur reste souvent que le ministère de la parole pour peser sur les décisions. (Et c’est parfois beaucoup.).

Prestations familiales. « Toujours trop réduites quand on a des enfants et trop importantes quand on n’en a pas ou plus. » Même en sécu, expression de la Solidarité nationale, chacun voit midi à sa porte.

Professionnels de Santé. «Ils creusent le déficit de la Sécu (6,5 milliards d’euros en 2012)». Par une telle assertion, on en oublierait que l’assurance maladie est faite pour rembourser des soins de Santé.

Régimes spéciaux du secteur public. « Il faut les fondre dans le Régime Général, puisqu’ils n’ont qu’un caractère provisoire. » Si c’était possible, socialement, techniquement et politiquement (cf conflit de 1995), ce serait fait depuis longtemps.

Solidarité entre les générations. « C’est le principe ce base de la retraite par répartition » vanté par les défenseurs du statu quo. Ce pourrait être aussi un miroir aux alouettes agité par les anciens pour faire payer des cotisations aux jeunes générations, si les déficits sociaux continuent de s’accumuler.

Tutelle. «Le droit de regard de l’Etat sur la gestion des organismes de Sécurité Sociale est légitime. » Il est tellement légitime du fait des masses financières en jeu et du nombre de personnes à protéger, qu’il se transforme dans bien domaines en pouvoir hiérarchique sans le dire. Ce serait plus franc et plus simple de l’écrire.

Conclusion : Attention à la bataille des mots qui fait rage même en Sécu.

Bien sûr, la Sécu, avant d’être un ensemble de notions, d’institutions et de règles de fonctionnement, de cotisations et de prestations , est un système de comptes retraçant 450 milliards des dépenses et de recettes sociales obligatoires au service du bien-être de la population en 2012.

Mais la dette, menaçante pour sa pérennité, qui représentera bientôt plus de 150 milliards d’euros à rembourser dans les années à venir, exigera un réexamen de chacune des valeurs qui sous-tendent ce monument de l’Etat Providence.

Or pour qu’un tel réaménagement soit profitable au rééquilibrage des comptes sans négliger les jeunes générations, il ne sera pas possible de se contenter d’idées reçues ni de concepts flous.

Faute d’avoir fait la clarté dans cette usine (qu’on n’ose qualifier « d’à gaz ») marquée par une tuyauterie de plus en plus complexe au fur et à mesure des lois de financement de la Sécurité Sociale, les dirigeants d’aujourd’hui et de demain auront le plus grand mal à procéder aux réformes nécessaires.

Or cette clarté reposera sur des mots pour lesquels un dictionnaire Sécu serait bien nécessaire…

F.Buffin blog : fredericbuffin.fr. Twitter @Buffin13







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