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15 janvier 2020 3 15 /01 /janvier /2020 14:02

Vous ne connaissez peut-être pas Jean Delumeau,   cet historien breton et catholique (que de défauts). Il vient de mourir sur les terres d’Armor.  Ce  spécialiste des mentalités religieuses en Occident et, plus particulièrement, du christianisme de la Renaissance et de l'Époque moderne a notamment écrit deux ouvrages magistraux: La Peur en Occident, XIVe-XVIIIes et en 1983 : Le Péché, la Peur, la culpabilisation en Occident. Paix à son âme.

 

Il m’avait inspiré en 2011 un papier sur la question de l’accueil de l’étranger qui n’a rien perdu de son actualité.

Il y a lieu à ce sujet de remarquer que même si l’opinion publique est centrée sur l’avenir des retraites par la grâce de deux projets de loi illisibles, mal présentées et mal vendues par les pouvoirs publics, la question parfois tragique de l’immigration et de l’accueil de l’étranger sur le territoire français, demeure toujours bien actuelle.

- La récente loi du 10 septembre 2018 intitulée « pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ne faisait pas partie du programme du Président de la République. Elle a pour autant été promulguée en prévoyant plusieurs durcissements significatifs visant à limiter les flux migratoires vers le territoire français, au grand dam des associations qui tentent de prendre en charge, les nouveaux arrivés.

-Dans le courant du second semestre 2019, la parole présidentielle s’est exprimée pour s’inquiéter de l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile qui a dépassé les 120000 en 2018.

En annonçant clairement que les déboutés du droit d’asile, soit plus des deux tiers des demandeurs, n’avaient pas vocation à demeurer chez nous, la plus haute autorité morale et politique du pays, a fait annoncer par ses lieutenants, toute une série de mesures restrictives sur les prestations telles que l’Aide aux demandeurs d’asile ou l’Aide médicale d’Etat.

Ces mesures ne semblent pas pour l’instant avoir été mises en application, mais si la parole présidentielle selon laquelle, « il faut faire ce qu’on dit, » est appliquée, il y a toute chance de penser qu’une fois que l’opinion publique se sera lassée du conflit sur les retraites, un nouveau tour de vis visant à limiter les flux migratoires, sera mis en œuvre.

-Car depuis la vague d’attentats survenus depuis 20112 à Toulouse où des enfants d’une école juive ont été sauvagement assassinés, l’étranger pour beaucoup est considéré comme un terroriste potentiel.

-L’assassinat des dessinateurs satiriques de Charlie Hebdo en 2015, et le massacre du Bataclan, n’ont rien arrangé.

Bref, l’étranger fait peur. Et comme souvent, la peur est mauvaise conseillère :

 

« Vaincre la peur de l’étranger » (11 octobre 2011)

  Nous avons peur de l'étranger et cette peur est mortelle pour certains d'entre eux et pour nos valeurs.

  A intervalles réguliers, la presse évoque avec indignation l'expulsion de travailleurs clandestins. Elle met l’accent sur l’opposition entre les associations de soutien à la cause des immigrés et les forces de polices dépêchées par le Préfet chargé d'appliquer des lois de plus en plus restrictives en matière d'accueil de l'étranger.

  Il n’y a qu’à se rappeler l’épisode marseillais de cet été relatif à l’expulsion des Roms,  installés en pleine ville  sur le parvis de la porte d’Aix  à la sortie de l’autoroute où se concentraient plusieurs dizaines de familles venant de Roumanie dans des conditions de salubrité indignes. Un bidonville à l’entrée de la ville sous un arc de triomphe romain bimillénaire, c’en était trop! La police fut envoyée pour faire le sale boulot et disperser dans toute la ville des populations que le droit international empêchait de renvoyer en Roumanie.

  Cette affaire qui a encore « grandi » la réputation de la ville déjà ternie par l’affaire des frères Guerini et les exécutions à la kalachnikov  de jeunes dealers dans les quartiers Nord,  est caractéristique de l’état d’esprit d’une population locale exaspérée et apeurée devant le spectacle de tels campements de la misère.

   Face à des militants « droitsdel’hommistes » qui au nom de principes humanitaires légitimes sont prêts à accueillir la terre entière, les élus locaux et les services de l’Etat et au premier chef la police font ce qu’ils peuvent pour éloigner sans trop de violence des populations que personne n’a vraiment envie de voir venir ni d’accueillir.

  Mais il n'y a pas qu'à Marseille où se déroulent à répétition des drames de l'immigration. Peu de gens s'intéressent à ce qui se passe du côté du détroit de Gibraltar ou des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla en territoire marocain. Dans ces zones, où se pressent des africains subsahariens qui prennent l'Europe pour un Eldorado qu'elle n'est pas, il faut constater chaque année plusieurs centaines de décès soit dans des camions bloqués à la frontière dans une chaleur écrasante, soit dans des bateaux égarés en Méditerranée qui n'atteindront jamais la terre promise.

  En terme numérique, la révélation périodique de la découverte d'un cadavre frigorifié d'un clandestin mort étouffé dans la soute à bagages d'un avion de ligne reliant les villes d'Afrique à celles de l'Europe est presque anecdotique et ne prêterait pas d'attention si ce genre de drame n'avait pas valeur de symbole de la tragédie d'une immigration de miséreux dont nous européens qui vivons dans l'opulence, ne voulons pas.

  Après la lecture d'un énième article sur ce sujet douloureux, je suis tombé par hasard sur l'introduction magistrale et lumineuse de Jean Delumeau, grand historien et auteur de « La peur en Occident, » ouvrage écrit en 1978.

Ces deux premières pages m’ont révélé de façon lumineuse que la peur des habitants d’Augsbourg à la fin du XVIème siècle qu'il décrit et la nôtre devant ce que certains, mal intentionnés, appellent « l’invasion des étrangers » sur le territoire national à cent lieues d’une mondialisation heureuse, est fondamentalement la même :

 

« Au XVI ème siècle, on n'entre pas facilement de nuit à Augsbourg. Montaigne, qui visite la ville en 1580, s'émerveille devant la "fausse porte" qui grâce à deux gardiens, filtrent les voyageurs arrivant après le coucher du soleil. Ceux-ci se heurtent d'abord à une poterne de fer que le premier gardien, dont la chambre est située à plus de cent pas de là, ouvre de son logis grâce à une  chaîne de fer, laquelle par un " fort long chemin et force détours" tire une pièce elle aussi en fer. Cet obstacle passé, la porte se referme soudain. Le visiteur franchit ensuite un pont couvert, situé au-dessus d'un fossé de la ville, et il arrive sur une petite place où il décline son identité et il indique l'adresse où il logera à Augsbourg. Le gardien, d'un coup de clochette, avertit alors un compagnon qui actionne un ressort situé dans une galerie proche de sa  chambre. Ce ressort ouvre d'abord une barrière - toujours de fer - puis, par le truchement d'une grande roue, commande le pont levis " sans que tous ces mouvemans on en puisse rien apercevoir: car ils se conduisent par les pois du mur et des portes et soudain tout cela se referme dans un grand tintamarre."

Au delà du pont-levis s'ouvre une grande porte, " fort espesse qui est de bois et renforcée de plusieurs lames de fer." L'étranger accède par elle à une salle où il se trouve enfermé seul et sans lumière. Mais une autre porte semblable à la précédente lui permet d'entrer dans une seconde salle où, cette fois, "il y a de la lumière" et où il découvre un vase de bronze qui pend par une chaîne. Il y dépose l'argent de son passage. Le (2ème portier) tire la chaine, récupère le vase, vérifie la somme déposée par le visiteur. Si elle n’est pas conforme au tarif fixé, il le laissera « trenper jusqu’au lendemein ». Mais s’il est satisfait, « il lui ouvre de mesme façon encore une grosse porte pareille aux autres, qui se clôt soudein qu’il est passé et le voilà dans la ville ». Détail important qui complète ce dispositif à la fois lourd et ingénieux : sous les salles et les portes est aménagée « une grande cave à loger cinq cents hommes d’armes avec leurs chevaux pour parer à toute éventualité ». Le cas échéant, on les envoie à la guerre « sans le seu du commun de la ville ».

 

Précautions singulièrement révélatrices d’un climat d’insécurité : quatre grosses portes successives, un pont sur un fossé, un pont levis et une barrière de fer ne paraissent pas de trop pour protéger contre toute surprise une ville de soixante mille habitants, qui est à l’époque la plus peuplée et la plus riche d’Allemagne. Dans un pays en proie aux querelles religieuses et tandis que le Turc rôde aux frontières de l’Empire, tout étranger est suspect, surtout la nuit. En même temps, on se défie du « commun » dont les « émotions sont imprévisibles et dangereuses ». Aussi s’arrange-t-on pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de l’absence des soldats d’habitude stationnés sous le dispositif compliqué de la « fausse porte ». A l’intérieur de celle-ci on a mis en œuvre les derniers perfectionnements de la métallurgie allemande du temps. Grâce à quoi une cité singulièrement convoitée parvient sinon à rejeter complètement la peur hors de ses murs, du moins à l’affaiblir suffisamment pour qu’elle puisse vivre avec.

 

Les savants mécanismes qui protégeaient jadis les habitants d’Augsbourg ont valeur de symbole. Car non seulement les individus pris isolément mais aussi les collectivités et les civilisations elles-mêmes sont engagées dans un dialogue permanent avec la peur. »

  Certes, il n’y a plus aujourd’hui de porte de fer pour barrer l’accès des villes aux plus pauvres venus d’ailleurs. Il n’y a plus non plus beaucoup de douaniers au sein de l’union européenne pour empêcher la venue des migrants chassés de chez eux par la misère engendrée notamment par la corruption de leurs dirigeants. Il n’y a même pas de rideau de fer sauf au Maroc,  face auquel seraient contraints de s’arrêter les peuples déshérités que nous les plus riches, refusons d'accueillir parce que nous ne pouvons pas selon certains, gérer toute la misère du monde, même si nous devons y contribuer.

  Mais en fait, alors que dans le cadre de l'OMC s’est développée la liberté de circulation des marchandises, des services et des capitaux, il n’en est pas de même quand il s'agit celle des populations et des personnes. Quelques exemples démontrent aujourd'hui que des barrières juridiques et administratives inscrites sur un papier pourtant si fragile, fonctionnent mieux que les portes de fer d'Augsbourg pour empêcher les peuples de l'est et du sud d'accéder chez nous à une vie normale et décente:

  Devant l'irrésistible flot migratoire Sud Nord et Est Ouest largement amplifié par des filières clandestines, l'Europe a créé l'espace Schengen censé empêcher ceux qui n'en font pas partie d'y pénétrer. Administrativement, se sont constitués partout en Europe des barbelés de papier pour décourager les immigrés en situation irrégulière de s'installer chez nous. Ces procédures ne font dans un bon nombre de cas qu'encourager le travail au noir de populations exploitées par des employeurs sans scrupule, les taudis dont profitent les marchands de sommeil ignobles de cupidité et la prostitution de masse par des jeunes filles livrées à des proxénètes dont certains sont de véritables tortionnaires. Mais ces règles de droit rassurent une opinion de plus en plus inquiète devant une immigration qu'elle perçoit comme une invasion.

  L'Europe a dénoncé en son temps le mur de Berlin. Elle ne se prive pas de condamner à juste titre le mur qu'Israël a érigé sur sa terre sacrée pour se protéger des Palestiniens, mais elle fait peu de publicité sur ses grillages de fer de plusieurs mètres de hauteur, qu'elle a réussi à imposer au Maroc devant les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla pour éviter que des ressortissants subsahariens ne tentent l'aventure européenne.

  Quant aux centres de rétentions dont les condition d'inconfort et d'hygiène sont indignes des valeurs qui ont été à l'origine de la construction européenne, ils constitue le signe honteux que l'Europe saisie par le chômage et la peur de l'autre dans une mondialisation dont elle profite quoiqu'on en dise, est en train de perdre son âme en oubliant ce que solidarité et humanité veulent dire.

  Est ce trop demander à nos dirigeants quelle que soit leur couleur politique de s'inspirer des propos papistes de Benoit XVI sur l'immigration qu'on trouve dans son encyclique, "l'amour dans la vérité" ? Ils valent bien des discours gauchistes qui ne font qu'apeurer une opinion publique pour qui "l'étranger" veut dire confusément, insécurité, incendies de voiture dans les cités, trafics en tous genres, sur-fréquentation des hôpitaux et abus des prestations sociales.

  Que dit le pape? Il met en avant trois constats assez simples:

 - Le  caractère massif des migrations qui doit être appréhendé de façon plurielle et globale.

- La nécessité d'une coopération internationale à long terme entre les pays d'origine et les pays d'accueil.

- L’obligation de sauvegarder les exigences des droits des personnes et des familles émigrées et en même temps ceux des sociétés qui les accueillent.

  "Aucun pays ne peut penser être en mesure de faire face seul aux problèmes migratoires de notre temps. Nous sommes tous témoins du poids de malaises, de souffrances et d'aspirations qui accompagnent les flux migratoires. La gestion de ce phénomène est complèxe, nous le savons tous; il s'avère toutefois que les travailleurs étrangers, malgré les difficultés liées à leur intégration, apportent par leur travail une contribution appréciable au développement économique du pays qui les accueille, mais aussi à leur pays d'origine par leurs envois d'argent. Il est évident que ces travailleurs ne doivent pas être considérés comme une marchandise ou simplement comme une force de travail. Ils ne doivent donc pas être traités comme n'importe quel autre facteur de production. Tout migrant est une personne humaine qui en tant que telle, possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toutes circonstances."

  Le pape en rajoute une couche  en faisant du social par l'évocation à la fois belle et terrible du jugement dernier (Matthieu 25) quand  le roi distingue les justes à qui il dit:  "j'étais étranger et vous m'avez accueilli " et maudit les autres en leur disant: "j'étais étranger et vous ne m'avez pas accueilli."

  Le successeur de Pierre nous rappelle ainsi que l’accueil de l’étranger ne relève pas de la seule responsabilité des états et des politiques mais qu’il constitue un impératif catégorique moral et personnel qui s’impose à tous ceux que leurs moyens intellectuels et financiers permettent d’intervenir en faveur de l’étranger dans la détresse.

  Une obligation morale et personnelle d'accueillir l'étranger sur fond de transcendance, est ce si déraisonnable comme option au nom d'un principe d'humanité que personne ne devrait oublier, citoyens et gouvernants ?

Frédéric Buffin 17 octobre 2011 »

 

 

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